08/01/2019

L’objet du mois – janvier 2019


Ce mois-ci, le pôle archéologique met à l’honneur un objet particulièrement atypique : l’ardoise gravée de Prémontré.


Titre : Ardoise gravée // Matériau / technique : Schiste // Dimensions : H. 19,5 cm ; L. 16 cm ; épaisseur. 0,8 cm // Datation : XVe siècle // Provenance, N° d’inv. : Département de l’Aisne // Mode d’acquisition : Fouille

Ardoise gravée © Pôle archéologique du département de l'Aisne_fouille de Prémontré-2010

Ardoise gravée © Pôle archéologique du département de l’Aisne_fouille de Prémontré-2010

Le réaménagement de l’hôpital de Prémontré a donné lieu à un ensemble de recherches archéologiques. La fouille de 2010 (sous la responsabilité de Thierry Galmiche) a permis de découvrir une ardoise qui pourrait avoir été utilisée pour la composition ou l’apprentissage de la musique.

L’abbaye de Prémontré a été fondée en 1121 dans l’évêché de Laon. Trois ardoises gravées de notations musicales ont été mises au jour lors de fouilles archéologiques réalisées dans l’enceinte abbatiale entre 2010 et 2012. Les inscrip­tions consistent en des portées et des notes de musique gravées.

Le fragment provenant de l’escalier de la citerne est une ardoise de forme pentagonale d’une longueur maximale de 19,5 cm et de 16 cm de largeur. Son épaisseur est de 0,8 cm. La question de l’utilisation initiale de cet objet est posée. Une encoche assez marquée est présente sur un des côtés obliques. Son examen montre qu’elle a été volontairement aménagée et ne résulte pas d’un accident. L’aspect de surface des deux côtés de l’ardoise est différent. Si l’avers est régulier, le litage de la pierre apparaît en revanche sur le revers, donnant un aspect beaucoup plus brut à cette face. Aucun tracé n’y a été mis en évidence.

 

Quatre portées de cinq lignes sont gravées sur l’avers. Ces vingt lignes ont été tracées à main levée et sont donc irrégulières et peu rectilignes. Un examen minutieux montre que leur tracé déborde, partiellement, sur les tranches de l’ardoise. La portée du bas est interrompue par les bords, l’encoche indiquant clairement la postériorité de cette dernière. L’absence de barre de mesure peut être indiquée.

Des carrés et des losanges dotés ou non d’une hampe vers le haut sont notés sur ces portées. Ces signes musicaux sont spécifiques de la notation blanche qui apparaît au cours de la première moitié du XVe siècle et qui est employée jusqu’à la fin du XVIe siècle. Dans la notation blanche, les brèves symbo­lisées par un carré valent deux ou trois semi-brèves figurées par des losanges. Le losange avec hampe représente une minime (équivalent à la moitié ou au tiers d’une semi-brève. Le trait vertical simple observé sur la deuxième portée pourrait repré­senter un silence, à moins qu’il ne s’agisse d’un vestige de note partiellement effacée. Une clef d’ut est indiquée au début de chaque portée au niveau de la première ligne. L’espace entre chaque note est assez régulier mais des rajouts pourraient avoir altéré la structure initiale.

Au moins deux repentirs ont été distingués sur la troisième et sur la dernière portée. Ils prennent la forme de notes rayées au moyen de petits traits parallèles. Une barre verticale est gravée sur la dernière portée. Le caractère unique de ce signe sur l’ensemble de l’ardoise rend son interprétation comme barre de mesure peu crédible. Cette marque pourrait indiquer une différence entre deux parties de chant. Cet extrait polyphonique était destiné à une seule voix qui exécutait successivement les quatre portées. La clef d’ut sur la première ligne indique que cette tablette était dédiée aux voix de sopranes.

L’absence de notes dans le tiers final de la dernière portée est à rapprocher de la présence de l’encoche qui a manifes­tement contraint le graveur à interrompre son travail. Si cette échancrure est postérieure à la gravure des portées, elle apparaît donc antérieure au report des notes. Il est donc tout à fait plausible, compte tenu du caractère volontaire de cet aména­gement, qu’il ait été réalisé afin d’améliorer la préhension de l’ardoise. Cette proposition est validée par l’observation de l’état de surface. La zone située 5 cm en haut à gauche de l’encoche apparaît en effet usée. Pour un droitier, cet endroit correspond à celui où prend appui le pousse droit, le reste de la main reposant à plat sur le revers afin de stabiliser l’ardoise. Les portées et les notes sont altérées de façon identique par le frottement, ce qui indique sans équivoque que cet objet a été utilisé avec l’ensemble des signes décrits précédemment pendant une période assez longue.

Cette ardoise pourrait avoir été utilisée dans l’apprentissage par mémorisation ou comme supports pour des choristes. L’exemplaire de Prémontré est exceptionnel par son état de conservation et par la longueur du fragment musical gravé.